Lorsque vous managez une équipe, il est possible qu'un conflit survienne entre deux personnes qui la composent. Mais qu'est-ce qu'un conflit, et comment en sont-ils arrivés là ?
Le mot vient du latin confligere qui signifie heurter, opposer ensemble.
conflits d'objectifs : ici, les protagonistes visent des buts différents, voire opposés et/ou incompatibles ;
conflits d'opinions : les valeurs et croyances entrent en jeux, chacun percevant la position de l'autre comme une erreur ;
conflits normatifs : là aussi interviennent les croyances et valeurs de chacun mais dans une trame soit sociétale, soit juridique, soit culturelle. La transgression de ces normes par l'autre est vécue de manière essentiellement émotionnelle et passionnelle.
Cependant, avant que le conflit n'éclate, vous pouvez être vigilant dans votre équipe à repérer les signaux faibles qui montrent une tension entre deux personnes : leur façon de se parler, de se regarder, la gestuelle brusque dans leurs interactions vous alerteront sur la potentialité d'un conflit si ces attitudes perdurent.
Si vous repérez une tension récurrente, n'hésitez-pas à en parler, individuellement, aux deux protagonistes, car la plupart des conflits naissent de non-dits et d'interprétations. Nommez simplement ce que vous avez vu et entendu à plusieurs reprises, et posez des questions pour mieux comprendre ce qui se passe. Il suffit souvent de mettre, comme dit un grand psychologue, « des mots sur les maux » pour que votre rôle de « tiers séparateur » calme le jeu.
le déni du conflit : nier les faits, les attribuer au hasard, à des maladresses, à des sources externes ;
l'évitement : faire « comme si » tout allait bien, ignorer la difficulté ;
la sur-adaptation : un des antagonistes va renoncer à des droits, des pouvoirs ou des pratiques plutôt que d'affronter l'autre. Cette attitude est une des sources de somatisation, qui peut amener la personne à des absences répétées pour maladie ;
la réponse autoritaire ou répressive : prendre le pouvoir sur l'autre dans une démarche de domination : focalisation sur la personne plus que sur ses opinions, idées ou actions.
En tant que manager vous devrez être attentif à ses propres réactions afin d'intervenir à temps pour éviter les dérives possibles.
Pour ce faire, vous aurez à clarifier d'abord votre propre fonctionnement en situation conflictuelle et chercher des méthodes pour apaiser la situation.
Par exemple, si le conflit présent est de l'ordre du conflit d'objectifs, il vous appartiendra d'analyser ceux-ci et de comprendre les besoins des deux personnes pour trouver un terrain d'entente qui satisfasse les deux.
S'il s'agit d'un conflit d'opinions, vous aurez à vous intéresser à la « carte du monde », les repères et valeurs de chacun des protagonistes et à demander des précisions factuelles sur les évènements pour les aider à dépasser le stade du conflit.
S'il s'agit d'un conflit normatif, repérez à quelle norme il se rattache : est-ce une loi, le règlement intérieur de votre entreprise, un us et coutumes en vigueur dans le pays ou la région ? Dans ce cas, la norme peut être explicitée et vous pouvez demander au transgresseur de présenter ses excuses.
Votre neutralité et le recul que vous aurez sur la situation seront le garant du succès de votre intervention. Mais hélas vous êtes-vous aussi un être humain et peut-être avez-vous des difficultés à ne pas prendre parti dans certains cas ?
Voyons quelques outils simples pour élargir votre propre « carte du monde ».
Les Toltèques (« maîtres bâtisseurs », censés être à l'origine de toute civilisation dans certaines légendes) avaient créé dit-on une charte pour que la vie en communauté soit plus facile et dénuée de tensions stériles. Cette charte comprenait 4 grands principes :
Cela signifie que lorsque je n'aime pas quelqu'un ou quelque chose, je commence ma phrase par « je » plutôt que par « tu » ou « il ». C'est aussi dissocier l'identité du comportement en évitant le verbe être, par exemple « je n'apprécie pas Pierre qui dit souvent des grossièretés » est plus entendable que « Pierre est grossier » qui est un jugement de valeur généralisant.
« Paul arrive toujours en retard le matin parce que travail n'est pas important pour lui, il s'en moque ». La réalité, si je l'ai mesurée et constatée, est que Paul arrive en retard le matin X jours sur Y d'autant de temps, et rien ne me dit qu'il se moque du travail : je ne suis pas dans sa tête et relier ses retards à un occasionnel propos dilettante serait un raccourci tentant mais peu juste.
C'est-à-dire faire l'effort d'aller vers le meilleur, faire le mieux possible, tout en (se) donnant le droit à l'erreur lorsque le résultat n'est pas à la hauteur de nos espérances.
Une anecdote : une salariée d'une très grande entreprise qui avait changé de poste une dizaine de fois en interne me dépeignait son nouveau service de façon très négative. Comme je lui demandais si elle allait demander à en changer, elle me confia que c'était impossible car le DRH lui en voulait personnellement d'avoir bougé souvent et d'ailleurs venait de lui refuser une promotion. Rencontrant le DRH quelques jours plus tard, je lui demandais s'il connaissait cette dame. « Non » me dit-il très posément « je ne l'ai jamais rencontré, je crois que j'ai dû voir passer plusieurs demandes de mutation la concernant mais je ne l'ai jamais vue ».
J'évoquais alors le refus de promotion qu'elle avait essuyé, et il m'expliqua qu'il avait suivi les arguments du N + 1 de la dame, qui estimait que son arrivée récente dans le service ne lui laissait pas encore assez d'éléments pour justifier une promotion.
Maintenant, voyons ensemble si vous avez une tendance à porter un jugement sur la base d'opinions ou de principes ou si votre « carte du monde » est suffisamment souple pour vous adapter aux situations conflictuelles.
Problématique
Une femme délaissée par son mari va voir, en son absence, son amant qui réside de l'autre côté de la rivière.
Le lendemain matin, alors qu'elle s'empresse de revenir chez elle avant le retour du mari, elle constate qu'un fou armé d'un couteau lui interdit le passage du pont.
Elle va voir le passeur, mais il refuse de lui faire traverser la rivière, car elle n'a pas d'argent sur elle.
Elle va demander à son amant de lui avancer l'argent de la traversée, qui refuse.
Elle va demander la même chose à son meilleur ami, voisin de l'amant, qui, secrètement amoureux d'elle et jaloux de l'amant, refuse également.
Elle traverse donc le pont à ses risques et périls, et effectivement le fou la tue.
Consigne
À votre avis, qui est responsable de la mort de cette femme entre le fou, la femme elle-même, le mari, l'amant, l'ami, le passeur ?
Si vous avez identifié un coupable, c'est que vous avez encore à travailler sur votre « carte du monde », car il y a dans cette histoire une responsabilité partagée entre ses acteurs.
Il est en effet essentiel pour régler un conflit interpersonnel, d'être le plus neutre et le plus factuel possible pour aider à lever les malentendus et les interprétations de chacun des protagonistes.
Voici un petit texte qui vous aidera à factualiser vos propos :
Ce dimanche matin, il fait beau. En ouvrant les volets, il respire l'air à pleins poumons. Elle se cache le visage sous les draps, pour éviter le soleil aveuglant de juillet. Il s'approche d'elle et dépose un tendre baiser sur son front. Elle pousse un soupir d'aise. Il sort, puis revient avec une tasse de café fumant, accompagné d'un croissant qu'il est allé chercher à la boulangerie d'en bas. Elle le regarde et lui sourit.
« Veux-tu passer la journée à la mer ?
Bonne idée !
Alors dépêchons-nous, on vient d'annoncer 10 heures à la radio. »
Oui, mais avant ... »
Maintenant, notez face à chacune des phrases ci-dessus si selon vous c'est : Vrai – Faux – Je ne sais pas
il est dimanche :
il n'y a pas de nuages :
elle a des yeux fragiles :
elle est dans le lit :
on est en plein été :
il l'aime :
elle apprécie qu'il l'embrasse :
il sort pour acheter un croissant :
il a préparé le café :
ils habitent au-dessus d'une boulangerie :
elle lui sourit :
elle est contente qu'il l'amène à la mer :
ils vont être en retard :
ils sont heureux :
Et vérifiez si vous avez découvert quelle phrase est un fait et laquelle ne l'est pas :
il est dimanche → vrai
il n'y a pas de nuages → il peut y en avoir
elle a des yeux fragiles → on ne sait pas
elle est dans le lit → on ne sait pas
on est en plein été → sauf si hémisphère sud
il l'aime → supposition
elle apprécie qu'il l'embrasse → supposition
il sort pour acheter un croissant → il peut être sorti pour faire autre chose au départ
il a préparé le café → supposition
ils habitent au-dessus d'une boulangerie → la boulangerie peut être ailleurs
elle lui sourit → elle ou lui
elle est contente qu'il l'amène à la mer → qui parle ?
ils vont être en retard → par rapport à quoi
Ils sont heureux → supposition
Intéressant, non ?
Vous aurez effectivement besoin dans une telle situation de garder une posture distanciée que les indiens Hopi appellent joliment « s'asseoir derrière soi », ou que l'analyse transactionnelle nommerait, elle, OK+/OK+.
Nous avons dans notre relation à l'autre quatre postures possibles, selon cette approche :
La posture OK+/OK- où je donne inconsciemment ou volontairement moins de valeur à l'autre qu'à moi. Cela nous arrive à maints moments, par exemple lorsque vous pestez devant l'automobiliste lent le jour où vous êtes pressé, ou que vous évoquez un des salariés de votre entreprise en disant « oui il est bien gentil, mais... ».
La posture OK-/OK+ dans laquelle à l'inverse nous attribuons à l'autre des qualités supérieures aux nôtres. Par exemple, l'admiration excessive d'un artiste en vogue, la peur d'un patron, ne pas oser aller demander quelque chose à quelqu'un de peur de le déranger nous place dans cette posture mentale.
La posture OK-/OK- est la plus douloureuse des quatre. Rien de soi ou de l'environnement ne nous semble avoir de la valeur, quel que soit ce dernier. Si cette posture dure, il est conseillé de consulter un médecin car cela peut être le signe d'un début de dépression.
Et enfin la posture OK+/OK+ est celle dans laquelle nous attribuons autant de valeur aux autres qu'à nous-même, où nous sommes conscients que chacun a des compétences et des manques, et que ceux-ci ne sont pas identiques chez tous les individus.
Vous trouverez dans les outils à télécharger un test pour vérifier votre propre posture préférentielle selon les situations.
Maintenant voyons comment aider les deux ennemis à sortir des malentendus et projections.
Dans un premier temps, vous l'avez vu, il s'agit de recevoir chacun des deux individuellement en utilisant l'écoute active. Posez des questions ouvertes, reformulez ce que la personne vous dit, utilisez des termes comme : précisément, concrètement, dans vos demandes de précisions. Amenez-la à se montrer le plus factuel possible, si elle vous assène une croyance, demandez-lui comment elle le sait, qui dit cela. Décryptez les généralisations comme « je savais bien en arrivant que tous les comptables étaient coincés, mais lui, c'est pire que ça » en reformulant le « tout ? » et en vérifiant comment votre comptable est coincé précisément, par quoi cela se traduit dans la réalité.
Ensuite, revoyez-les, ensemble, pour confronter la réalité que vous avez découverte aux projections des deux personnes. Montrez-leur les malentendus, les non-dits, évoquez les faits, nommez votre ressenti face à la situation et ce que vous attendez d'eux pour qu'elle s'arrange.
Rappelez-leur qu'ils sont dans un contexte professionnel qui attend d'eux des productions sur lesquelles l'ambiance dans l'équipe impacte.
Rien ne les oblige à s'apprécier personnellement, mais la moindre des choses est de faire l'effort de travailler ensemble dans des conditions de courtoisie et de respect mutuel. Et bien sûr dites-leur tout cela avec un maximum d'empathie.
En fin d'entretien, pensez à demander à chacun sur quoi il est prêt à s'engager pour régler le problème dans la relation avec l'autre.
Le risque dans ce conflit, s'il ne se résout pas, est qu'il bascule dans ce que Steven Karpman nommait le triangle dramatique.
Par exemple, un des deux antagonistes subit les attaques de l'autre et vient constamment se plaindre à vous des mauvais traitements qu'il lui inflige. Vous pourriez tenter d'intervenir auprès de son « persécuteur » et deviendriez de ce fait le « sauveur » de la « victime ». Et si vous haussez le ton avec l'agresseur, vous deviendriez à votre tour son « persécuteur », peut-être ira-t-il en posture de « victime » se plaindre à ses collègues, à votre N+1 ou aux syndicats.
Pour sortir de ces « jeux psychologiques » seule la posture adulte/adulte, correspondant au OK+/OK+ fonctionne. Recevoir les deux et faire le point des actes posés de façon concrète et pragmatique, sans jugement de valeur, dans une posture d'empathie assertive vous évitera cet écueil.
Après trois entretiens de ce type et si les engagements ne sont pas tenus, vous ne pourrez plus que constater la réalité d'une rupture dont ils sont coresponsables et organiser leur séparation.
Pourquoi est-ce important pour les participants au conflit ?
apaisement des relations ;
meilleure qualité de vie au travail ;
meilleure concentration sur la mission une fois la focalisation sur le conflit interrompue ;
augmentation des résultats.
Pourquoi est-ce important à réaliser pour le service, l'entreprise, les collègues, etc. ?
apaisement des relations, moins de tension contagieuse ;
meilleur climat dans l'équipe ;
plus grande disponibilité pour les travaux de groupe ;
image de l'entreprise.
Pourquoi est-ce important pour vous et vos deux collaborateurs concernés ?
fiabilité du manager ;
sentiment de soutien, de non-jugement ;
renforce le sentiment d'appartenance.
Quelles seraient les répercussions s'ils ne savaient pas faire ?
crise dans l'équipe par contagion ;
clanisme ;
démotivation ;
image négative du service, de l'entreprise auprès des clients partenaires et fournisseurs.
Exemples de problèmes vécus récemment :
La société de transport en commun a perdu le marché d'une école dont les enseignants ont vu deux chauffeurs se battre dans la cour de l'entreprise lors d'une réunion et craignent un mauvais exemple pour les élèves.
Evitez de :