Si beaucoup d'études en sociologie du travail et en psychologie se sont posé la question, les travaux d'Abraham MASLOW n'en demeurent pas moins valides et constituent un socle intéressant pour réfléchir à ce sujet.
Les réactions naturelles aux besoins fondamentaux non satisfaits ont été analysées dans le cadre de plusieurs études universitaires et par un bon nombre de scientifiques, que ce soit dans l'entreprise ou dans la société civile.
Le manager a besoin de porter son attention sur les « signaux faibles » avant qu'ils ne s'aggravent. Comment exercer sa vigilance et obtenir les informations nécessaires pour mettre en place un plan d'action individuel ou collectif afin de remobiliser les membres de son équipe ? C'est l'objectif de cette fiche.
La motivation a fait l'objet de beaucoup de recherches sociologiques (Salvatore Maugeri), psychologiques (Abraham Maslow, Frederick Herzberg) et même philosophiques (Anna Harendt) et est traitée dans de très nombreux ouvrages.
La plupart s'appuient d'ailleurs sur la théorie de Maslow, dite des besoins fondamentaux. Celui-ci a établi que les êtres humains étaient stimulés pas des besoins, qu'il a hiérarchisés sous forme de pyramide, et qu'ils développaient un besoin lorsque le premier était suffisamment nourri.
Les premiers besoins sont d'ordre physiologique : dormir, manger, boire, respirer.
Lorsque ceux-ci sont remplis, l'être humain accède à des besoins de sécurité (physique, économique, affective).
Cela peut paraître simpliste, et peut être vous dites-vous que, dans votre entreprise, ces besoins-là sont forcément comblés. Voici néanmoins une anecdote, tirée de la réalité, qui vous montrera que ce n'est pas si sûr.
Dans cette petite PME du Nord de la France, une jeune fille de 19 ans vient d'être recrutée en CDD. Elle effectue sa période d'essai. Le directeur l'a personnellement recrutée et a senti chez elle, intuitivement, un excellent potentiel. Au début, tout se passe bien, son N+1 est satisfait de son travail, mais, au bout d'un mois et demi, des symptômes apparaissent : le matin, la jeune fille arrive cernée, fatiguée ; elle s'assoupit sur son bureau et perd en rapidité et en réactivité. Les recadrages du N+1 la font pleurer et restent sans effet. De plus, son teint pâlit et elle maigrit.
Le N+1 finit par dire au directeur qu'il ne la gardera pas et même qu'il mettra fin au CDD avant son terme, car la productivité de sa collaboratrice chute à vue d'oeil.
Le directeur, intrigué de ce changement, alors que les compétences de la demoiselle lui semblaient au départ si prometteuses, la convoque – avant de prendre une décision – pour mieux comprendre ce qui se passe.
Lors de l'entretien, la jeune fille éclate en sanglots. Elle lui avoue avoir des dettes : avant de trouver du travail, et pour financer son quotidien, elle a emprunté des sommes d'argent à des amis et des parents, et, depuis le début de son contrat, elle rembourse au maximum ce qu'elle doit. Résidant loin de l'entreprise, elle vit dans un foyer de jeunes travailleurs auquel elle verse un petit loyer. Mais elle ne garde quasiment rien pour ses repas. De ce fait, elle s'alimente peu et mal et donc elle dort mal et la fatigue s'accumule.
Le directeur lui propose alors un contrat : il lui suggère de prendre, pendant deux mois, ses repas du midi au restaurant d'entreprise. Il précise : « Je ne vous fais pas l'aumône, je parie sur votre talent. Vous vous reprenez, vous restez ; vous avez un an pour me rembourser ces repas. Vous ne vous reprenez pas, vous nous quittez dans deux mois. Je n'aurai alors perdu que le prix de quelques repas et l'espoir que je mise sur vous. Je sais que vos compétences sont là, qu'elles peuvent se développer et qu'elles seront très utiles à notre propre développement. »
Pour la petite histoire, le personnel du restaurant, l'ayant prise en amitié, lui donne, en fin de repas et pour son dîner, les restes non consommés. La jeune fille a finalement pu régler ses dettes et reprendre confiance en elle ; sa santé s'est améliorée. Cinq ans plus tard, après une formation complémentaire, elle occupe un poste de cadre dans cette entreprise et a largement contribué à son évolution.
Le troisième échelon de la pyramide correspond aux besoins sociaux. Le psychologue Paul Watzlawick, de l'école Palo Alto, disait que l'homme (ou la femme) est un être communicant et qu'on ne peut pas ne pas communiquer.
L'être humain, dans l'entreprise comme ailleurs, a deux besoins sociaux essentiels : le besoin d'appartenance (à une famille, un groupe, une bande) et le besoin de reconnaissance. Il est aujourd'hui prouvé qu'un petit enfant, à qui on ne parle pas, à qui on n'accorde aucune attention, va développer des graves troubles du comportement. Le sentiment d'appartenance est nourri en entreprise par la symbolique des logos, par la communication interne, les activités partagées, les actions porteuses de sens (certains grands groupes lancent des actions humanitaires, créent des fondations).
Le besoin suivant est le besoin d'autonomie. Celui-ci n'est pas systématique : un certain nombre de personnes s'arrêtent, semble-t-il, aux besoins sociaux. Ceux qui parviennent à celui-là vont généralement aller vers des missions à responsabilité – l'encadrement – voire créer leur propre entreprise.
Enfin, le dernier échelon, selon Maslow et ses pairs, est celui de la transcendance, de la réalisation de soi. Là encore, tous ne vont pas jusque-là, et cette strate apparaît assez souvent en milieu de vie ou au moment de la retraite. La personne va se poser la question du sens, réaliser un rêve d'enfant, changer de vie pour aller vers une activité rémunérée ou non qui répondra à ses valeurs, ses aspirations profondes. Quelques exemples réels : un ingénieur qui quitte la grande industrie chimique pour devenir apiculteur après le décès de son épouse, une opticienne de renom qui devient biographe, un dentiste qui vend son cabinet et sa voiture de collection pour acheter un bateau et faire le tour du monde, un chef d'entreprise du bâtiment qui lâche tout pour se lancer dans la construction d'écoles dans un pays émergent, un homme politique en vue qui, après des problèmes de santé, va s'investir dans un programme d'électrification en Afrique...
Là aussi, de très nombreuses études ont été réalisées pour comprendre les phénomènes.
La non-satisfaction d'un besoin crée de la frustration, et, si tout va bien, l'enfant a appris, entre deux et quatre ans, à la gérer. Cependant, nous savons tous que quelques personnes ont raté cette étape et rencontrent des difficultés à accepter cette frustration. De nos jours, l'impact sociologique d'Internet montre, qu'accoutumés désormais à trouver les informations en un clic, nous avons parfois du mal à accepter d'attendre ou de nous voir refuser quelque chose, bref, à gérer notre frustration.
Lorsque celle-ci est conscientisée, nous pouvons faire un choix. Par exemple, je me vois refuser le poste que je convoitais, je vais postuler pour un autre poste ou aller vers une formation complémentaire. Cela ne démotive pas sauf si je garde un sentiment de privation malgré mon choix. Il est utile en ce sens d'en parler, de le conscientiser pour pouvoir m'adapter à la situation sans perdre ma motivation.
Par contre, si je ne conscientise pas ma frustration au départ ou si je garde un sentiment de privation, l'adaptation est impossible. Dans ce cas, je vais développer ce que les psychologues appellent des phénomènes (inconscients) de compensation.
Ces attitudes de compensation peuvent être de plusieurs ordres. Les connaître vous permettra de les repérer et d'intervenir avant qu'elles ne se transforment en une démotivation profonde.
L'agression. Votre collaborateur, depuis un mois, claque les portes, répond sèchement à ses collègues, voire aux clients. Il arbore un visage tendu et rares sont ses sourires. Ce comportement est inhabituel ? Allez le voir et nommez juste ce que vous avez observé de façon strictement factuelle. S'il s'agit d'un problème privé, il vous le dira, mais s'il s'agit d'une réaction à une frustration professionnelle, vous pourrez l'aider à « mettre des mots sur des maux » (Jacques Salomé) et à trouver des compensations moins néfastes pour lui et son environnement.
La régression : vous avez l'impression que votre collaborateur s'infantilise entre enfant boudeur et enfant blagueur ; il ne prend plus aucune responsabilité sans vous demander permission ou avis ? Il est probable qu'il fasse une régression dont vous pouvez parler avec lui, toujours avec empathie, en décrivant ce que vous avez constaté. Cette attitude, que les philosophes appellent la phénoménologie, permet le plus souvent de sortir des projections et de libérer la parole pour que la personne trouve, par elle-même et avec votre aide éventuelle, des solutions.
La sublimation : Paul n'a pas obtenu le poste de direction convoité. Il passe son temps à imaginer comment ce serait s'il l'avait obtenu ; il voit en pensée le magnifique bureau, les réunions. Bref, il sublime ce poste comme s'il n'avait aucun inconvénient. Aidez-le à revenir dans la réalité, ici et maintenant, pour parler de son désappointement.
La projection : c'est un mécanisme de défense inconscient, une opération mentale par laquelle une personne place sur quelqu'un d'autre ses propres sentiments et perceptions pour échapper à une situation émotionnelle inconfortable. Par exemple, Pierre est furieux de n'être pas associé aux réunions de direction et il est persuadé que c'est parce que vous lui en voulez et que vous êtes en colère contre lui.
La rationalisation : la personne va chercher, de façon strictement intellectuelle et par focalisation, à comprendre les mécanismes qui ont déclenché le fait frustrant. Pendant que son cerveau travaille à plein régime sur le sujet, elle ne perçoit pas ou peu les signaux émotionnels. Mais le travail s'en ressent puisque le cerveau est occupé ailleurs.
La reddition : la personne va montrer du découragement, vous l'entendrez dires phrases comme : « à quoi bon, ça ne sert à rien, c'est toujours comme ça... ». Allez la voir, reformulez ces petites phrases, ne la laissez pas « se rendre », montrez-lui la réalité et ses potentialités.
La répression. Histoire vraie : le directeur d'une entreprise publique avait la réputation de tyranniser ses assistantes qui pleuraient au moins une fois par semaine. L'une d'elles, à son arrivée, a cherché à comprendre pourquoi et comment il s'y prenait : elle s'est aperçue, lors d'un cocktail public, que son épouse, plus grande, plus diplômée et beaucoup plus riche que lui, le méprisait et l'humiliait publiquement. Cet homme compensait alors les frustrations, liées à sa relation de couple, en organisant inconsciemment une répression envers les femmes qu'il avait, si l'on peut dire, « sous la main » la journée. Les trois assistantes avaient pris l'habitude de lui donner des signes positifs de reconnaissance et de prendre du recul par rapport à ses propos brutaux qui, finalement, ont peu à peu cessé.
L'autisme. C'est un terme fort, mais c'est aussi une des compensations les plus risquées : la personne s'isole, ne parle plus ou très peu, n'extériorise plus aucune émotion. Si un de vos collaborateurs adopte cette attitude (nous ne parlons pas d'une personne naturellement réservée préférant travailler seule, mais de quelqu'un d'assez communiquant d'ordinaire), allez-le voir, il est possible qu'il glisse vers une dépression si le phénomène s'installe. Là aussi, aidez-le à mettre des mots sur des maux.
La fuite : elle peut se traduire par plusieurs phénomènes. L'absentéisme, la maladie, la folie ou les délires, la dépendance à l'alcool ou d'autres produits. La personne se réfugie dans un « autre monde » que celui qui a généré la frustration.
L'identification projective : la personne va projeter sur un objet des caractéristiques qui lui appartiennent pour s'y reconnaître. Cela peut devenir un mécanisme de défense pathologique si elle veut prendre possession de cet objet (ou personne) dans une tentative de contrôle et d'annihilation de ses caractéristiques propres qui sont alors niées. Dans ce dernier cas, il vous appartient autant de protéger l'objet de l'identification que d'aider la personne qui s'y identifie à sortir de ce mécanisme.
Par exemple, votre collègue a raté une grosse affaire avec un client. Il va tenter de trouver chez celui-ci des traits de caractères qui lui sont propres (« il était trop concurrentiel pour moi », alors que lui-même est un challenger en permanence), voire essayer de prouver audit client que c'est pour cette raison qu'il ne lui a pas confié l'affaire en question.
Vous voyez que, sans devenir vous-même psychologue ou psychothérapeute, votre mission de manager est d'observer, d'écouter et de comprendre, avec bienveillance mais sans complaisance, ces attitudes et de les mettre en mots au regard de la motivation de vos équipes
Pourquoi est-ce important pour les personnes concernées ? :
renforce le sentiment d'utilité au sein du service, de l'entreprise et par ricochet la motivation pour les projets ;
nourrit les besoins sociaux d'appartenance et de reconnaissance (Maslow) ;
aide les potentiels dormants à se dévoiler et se développer ;
évite les crises identitaires que peuvent déclencher les démotivations fortes ;
renforce l'autonomie.
Pourquoi est-ce important à réaliser pour le service, l'entreprise, les collègues, etc. ? :
favorise le climat dans l'équipe ;
permet d'apaiser des tensions ;
fais avancer les dossiers et projets ;
stimule l'envie de travailler et la créativité.
Pourquoi est-ce important pour vous et votre collaborateur technicien ? :
donne une image sécurisante et fiable du manager ;
le collaborateur peut le modéliser.
Quelles seraient les répercussions s'ils ne savaient pas faire ? :
perte de temps et d'énergie ;
démotivation ;
non-aboutissement des projets (perte de chiffre d'affaires, image).
Exemple de problème vécu récemment : le pressing de la ville de X a perdu 20 % de sa clientèle en six mois. À l'accueil, la personne souffle, grogne, montre sa mauvaise humeur aux clients et se plaint de la façon dont s'est passé son entretien d'évaluation.
Evitez de: